D'eau, de terre et de feu

la passion d'un potier

 

A l'aube de l'humanité l'homme a cherché des contenants pour transporter ou conserver sa nourriture et ses boissons. C'est ainsi qu'est née la poterie et plus précisément l'art consistant à assembler des éléments aussi primordiales et opposés que l'eau, la terre et le feu. Le potier s'en chargea et certains disent qu'il exerce depuis le plus vieux métier du monde. A Island, petit village du Morvan entre Avallon et Vézelay, Yves Loiselet perpétue cette tradition du travail de la terre qu'il agrémente d'émaillage à la cendre. De nos jours concilier vie professionnelle et épanouissement personnel paraît souvent une gageure ou un vœu pieux, c'est pourtant ce pari que réussi depuis 15 ans cet artisan potier entre passion et utopie.

POTERIE OU ... POTERIES ?

"Convoque l'eau et le feu du ciel et redonne vie à la terre !" aime à dire le poète et potier Daniel de Montmollin, il pourrait ajouter "Apprivoise-les !". Le profane qui n'embrasserait pas cette considération ne comprendrait rien à la poterie et à ceux qui la font car tout résultat s'obtient en domptant avec respect cette association d'éléments. Ces derniers font preuve d'une ambivalence qu'il convient d'étudier à travers le symbolisme tantôt positif, tantôt négatif qu'ils incarnent. La terre nourricière est aussi l'argile stérile où rien ne pousse et qu'utilise le potier, l'eau source de vie peut également être le déluge qui détruit tout sur son passage, et enfin le feu qui réchauffe les corps et cuit la nourriture alimente le brasier des Enfers. C'est pourquoi Yves Loiselet ne se considère pas comme un créateur mais plutôt comme un co-créateur ne faisant que réassembler des éléments naturels existants et dont il n'a pas la paternité. Ainsi tout résultat reste conditionné à une ultime touche d'inattendu et de mystère qui en fait un objet unique. Ce que le potier met de personnel dans son travail se sont ses joies, ses peines, son espérance et la foi de croire que sa poterie par la forme, la couleur et la matière utilisée, devient une expression humaine. La poterie n'est donc pas une mais multiple...
Il suffit de rentrer dans un atelier pour se rendre compte de tout cela et voir ses sens sollicités par l'odeur de la terre, le toucher poreux de la poterie brute, la chaleur du four, la beauté luisante de l'émail ou le bercement régulier du tour. Celui d'Yves Loiselet est installé dans une aile de l'ancien cloître pour religieuses qu'il habite avec sa famille en face du château d'Island. C'est dans ce lieu magique semblant prédestiné aux aspirations de l'artisan qu'il travaille, la porte toujours ouverte.

AUTOUR DU TOUR

Il existe de nombreuses terres utilisées en poterie et chacune à la personnalité propre que lui ont donné sa composition géologique et l'action plus ou moins longue exercée par le temps, chaque terre est en fait une sorte de mémoire vivante. Ici elle vient du gisement tout proche de Saint-Amand, un endroit apprécié depuis des siècles par les nombreux potiers de cette région de la Puisaye. C'est une argile gréseuse à la couleur grise plutôt foncée, lourde, généreuse et que l'on se plaît à modeler. Avant toute utilisation la terre est préparée en mottes plus ou moins grosses que le potier bat et pétrit afin de l'homogénéiser et d'en chasser l'air qui exploserait à la cuisson. Après lui avoir fait subir cette violence, il la met au repos de manière à ce qu'elle se rééquilibre en attendant d'être travaillée sur le tour.
Le tour, que le potier appelle communément girelle, est certainement l'une des inventions les plus ingénieuses de l'homme et constitua un progrès certain dans l'histoire déjà ancienne de la poterie. Le principe de plateau tournant sur un axe est toujours le même mais c'est désormais un moteur et non plus le pied qui l'entraîne. La motte de terre est mouillée puis solidement fixée en étant frappée sur la girelle du tour en rotation. Elle est enfin centrée avec minutie car cela déterminera sa tenue au tournage, une opération que le potier effectue à l'estime car le tour ne comporte aucune indication de centrage. Le creusage peut alors commencer en enfonçant ses deux pouces dans le bloc qui tourne sur lui-même, l'argile se fend et une cavité apparaît que le potier agrandit en tirant latéralement. Les mains placées de part et d'autre de la pièce il l'élève graduellement jusqu'à la hauteur désirée, et termine par le tournassage c'est-à-dire le rabotage du fond et des bords au couteau.
C'est réellement sur le tour que le potier se révèle et que la terre devient vivante sous ses doigts habiles en donnant forme à la pièce, lorsque ses mains s'animent c'est une véritable communion avec la matière qui commence. Ceci est révélateur car la composante humaine est indispensable pour le tournage et une machine ne peut le faire, la mise en forme des poteries industrielles se faisant par coulage dans un moule.

LE POTIER SE FAIT ALCHIMISTE

Une fois tournée la pièce est mise à sécher quelque temps avant de subir les rudes épreuves de la flamme. Fils de ferronnier, Yves Loiselet a découvert la magie du feu en côtoyant enfant la forge de son père dont le soufflet rustique trône désormais dans le magasin. Les pièces sont d'abord mises à cuir partiellement pour obtenir un dégourdi de couleur ocre qui conserve à la terre une porosité suffisante permettant l'émaillage. L'émaillage sera lui élaboré dans le laboratoire installé au-dessus de l'atelier.
C'est de la cendre, cet ultime résidu de la combustion des matières organiques, qui est utilisée comme base à la composition des émaux. Toute cendre peut être considérée comme unique car ses éléments minéraux évoluent spécifiquement lors de leur passage dans la grande sphère de la vie. Leur récolte se fait dans la campagne morvandelle, dans les vignes que l'on taille en hiver, dans les feux que font les bûcherons ou simplement dans le tas de foin calciné du jardin. La mise au point d'un émail est laborieuse, il faut tester, analyser et peser afin d'encadrer au plus près le résultat que l'on attend de lui; les échecs sont ici utilisés pour progresser. Des minéraux purs sont parfois ajoutés comme du fer, de la silice, du cuivre ou du cobalt afin de compléter et d'équilibrer une composition. Une fois le mélange réalisé, les dégourdis sont trempées dedans et d'autres émaux peuvent être appliqués par juxtaposition au pinceau. La cuisson, qui dure plusieurs heures et monte progressivement jusqu'à 1300°C, se charge de vitrifier l'émail. C'est une phase délicate où le potier vérifie constamment la température et la tenue de ses poteries en regardant par une petite ouverture, voir en entrebâillant la porte du four.
L'ultime satisfaction a lieu lors du défournement à la découverte des pots émaillés résultant de ce hasard dirigé. Même si l'émaillage permet toute les audaces graphiques, Yves Loiselet reste fidèle à des compositions épurées en harmonies avec les formes qu'il tourne dont la fonction première reste l'utilité, c'est d'ailleurs pour s'en servir à table que la majorité de ses clients effectuent leurs achats. Plats, coupelles, jarres et cruches s'alignent dans le magasin qui jouxte son atelier et il ne manquera pas de vous rappeler qu'un pot de grès peut faire également un excellent nichoir à moineaux!

Désormais le potier traditionnel perd peu à peu de son statut d'artisan aux yeux du public pour endosser celui de l'artiste. Certains franchissent le pas mais d'autres comme Yves Loiselet défendent farouchement leur identité et le caractère traditionnel de leur travail. Il reste à se souvenir que dans de nombreuses mythologies, le premier homme fut créé par le façonnage divin d'une simple motte de terre...